« Nouveau normal » dans le manufacturier : Véronique Proulx fait le point

 

La crise a provoqué une série de chassés-croisés dans le secteur manufacturier, et la reprise graduelle des activités n’est pas simple. Marie Grégoire s’entretient avec Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec depuis 2017.

Véronique Proulx dirige Manufacturiers et Exportateurs du Québec depuis 2017

Comment voyez-vous Manufacturiers & Exportateurs du Québec dans cette crise et votre rôle de dirigeante ?

C’est une situation difficile et complexe. La crise affecte l’industrie, donc nos membres. Les entreprises ont plus que jamais besoin de nous pour demander le soutien dont elles ont besoin. Nos membres s’attendent à ce que l’on joue notre rôle et que les mesures annoncées soient alignées avec leurs réalités. Au début de la crise, je n’ai jamais travaillé autant de ma vie. Il n’y avait rien de prévisible, ni de stable. Le téléphone sonnait à tout moment de la journée. Tout le monde cherchait à avoir de l’information. Aujourd’hui, nous tenons des rencontres hebdomadaires avec les ministres et fonctionnaires car la situation évolue très rapidement. On entre dans un « nouveau normal ».


"Au début de la crise, je n’ai jamais travaillé autant de ma vie. Il n’y avait rien de prévisible, ni de stable. Le téléphone sonnait à tout moment de la journée.


On a opposé, à tort ou à raison, santé publique et économie. Quelle est votre position à ce sujet?

À mon avis, ça va de pair et ce n’est pas en opposition. La santé publique, c’est aussi la santé mentale et la santé de l’économie. Dans la plupart des autres provinces et juridictions, les gouvernements ont reconnu le secteur manufacturier comme essentiel. Le Québec est le seul qui a mis sur pause une partie de ce secteur. Dans le manufacturier, la santé et la sécurité, c’est quelque chose que l’on connaît et que l’on maîtrise depuis longtemps. Je pense entre autres à des entreprises comme Héroux Devtek qui sont des pionniers dans le domaine de la santé et sécurité du travail.

Pendant la crise, 50 % des entreprises manufacturières sont restées en opération, est-ce exact?

Dans les dernières semaines, certaines se sont ajoutées puisque le gouvernement a autorisé des entreprises à démarrer de nouveau ou à maintenir un niveau minimal d’opération, soit pour finaliser des commandes, soit pour assurer des livraisons ou tenir d’autres livrables. Il s’agit par exemple d’entreprises qui servent les secteurs essentiels dans d’autres provinces, aux États-Unis ou encore dans la construction. Certaines de ces entreprises exercent une activité saisonnière. Si elles n’avaient pas repris leurs activités le 4 mai, au moins partiellement, toute la saison aurait été compromise.  

Quel est le pourcentage d’employés qui sont retournés au travail en date du 11 mai?

On compte 450 000 employés dans le domaine manufacturier au Québec. Avant la reprise du 11 mai, 60 %  des travailleurs étaient de retour en emploi. Hier, le lundi 11 mai, 100 000 employés de plus sont retournés au travail, et environ 76 000 autres y retourneront d’ici les deux prochaines semaines. À ce rythme, toute l’activité devrait avoir repris le 25 mai.

De quoi sera fait le « nouveau normal »?

Avec les mesures de distanciation, il y a moins de travailleurs au pied carré, ce qui a un effet direct sur la productivité. Aujourd’hui, l’investissement dans les nouvelles technologies  est obligatoire pour respecter la distanciation et le réaménagement des usines. Il y a donc une opportunité qui découle de cette crise : revoir les modèles d’affaires, les plans d’usine. L’automatisation et la robotisation peuvent aussi aider dans ce sens.

Est-ce que les entreprises vont pouvoir se permettre ces investissements ou est-ce l’État doit agir ?

Nous allons avoir besoin de l’État. Les entreprises s’endettent pour passer à travers la crise, les fonds de roulement font défaut. La demande a baissé de 20 à 50 % et l’incertitude plane. Nous demandons au ministre Fitzgibbon de convertir des prêts chez Investissement Québec en subventions, dans les situations où les entreprises réalisent leur projet. Nous demandons aussi de l’aide directe pour les projets d’investissements qui concernent les priorités du ministère, comme la numérisation, l’automatisation et la robotisation. Autrement, les projets ne vont pas se réaliser. Ça ne va pas se faire tout seul. C’est impossible dans le contexte actuel


Nous demandons de l’aide directe pour les projets d’investissements qui concernent les priorités du ministère, comme la numérisation, l’automatisation et la robotisation. Ça ne va pas se faire tout seul.


Quelles leçons retenez-vous de la crise?

Cette crise démontre la grande capacité de résilience du Québec. Dans le manufacturier, comme dans la communauté des entrepreneurs, il y a une grande capacité à se réinventer et à innover. Plusieurs entreprises ont commencé à produire du gel antiseptique, des jaquettes pour les hôpitaux, des visières, etc. D’autres profitent de la pause pour repenser leur modèle d’affaires. C’est un atout pour l’avenir du développement économique au Québec.


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Marie Grégoire