Monnaie: les crypto et la boucle numérique


12 mars 2024

Depuis le début de 2024, le gendarme américain des marchés financiers, la Securities and Exchange Commission (SEC), a autorisé 11 fonds négociés en bourse basés sur les cryptomonnaies.

Francis Gosselin

Bien que l’année 2022 ait marqué, en quelque sorte, la «fin» des cryptomonnaies avec un effondrement spectaculaire de la plupart des principales monnaies et l’anéantissement du marché spéculatif des jetons non fongibles, 2023 a, à l’inverse, été l’occasion d’une remontée spectaculaire de plusieurs de ces monnaies virtuelles.

«Nombreuses sont les influenceuses américaines, très fan de la “Web 3”, qui ont été rapidement désabusées en raison de la culture très masculiniste dans les écosystèmes de cryptomonnaies.»

Le Bitcoin, comme plusieurs autres de ces instruments – l’Ether, le Solana, le Doge – sont présentés comme des monnaies, mais de nombreuses analyses les décrivent plutôt comme des «actifs», à la manière de l’or ou de certaines commodités durables, et serviraient de «réserves de valeur» pour les investisseurs.

Valeur d’usage

La co-fondatrice de Cyber Citoyen, Catherine Dupont-Gagnon avoue son scepticisme quant à ces instruments: «Nombreuses sont les influenceuses américaines, très fan de la “Web 3”, qui ont été rapidement désabusées en raison de la culture très masculiniste dans les écosystèmes de cryptomonnaies.» Les cryptomonnaies n’ont pratiquement aucun usage en tant que monnaie. Madame Dupont-Gagnon évoque la prétention des cryptomonnaies à servir de moyen de paiement: «C’est une “monnaie” à l’abri de l’intervention, ce qui, dans un pays régi par un gouvernement autoritaire, est intéressant, mais comme ça fluctue à l’extrême, c’est une très mauvaise source de sécurisation des actifs», explique-t-elle. Qui plus est, il est aujourd’hui encore pratiquement impossible de payer quoi que ce soit en utilisant les cryptos. Elle ajoute que Cyber Citoyen reçoit toutes les semaines des demandes de gens qui se sont fait avoir avec des fraudes de cryptomonnaies. Avec la récession et la vulnérabilité qui l’accompagne, nombreux sont ceux qui seront tentés par des investissements en cryptomonnaies ou par l’appât d’un gain facile, et qui risquent de perdre gros.

 Où sont les femmes?

L’autrice et CFA Barbara Stewart exprime elle aussi son scepticisme quant à ces instruments. Celle qui s’intéresse particulièrement au comportement des femmes en finances s’est penchée sur la question. Ayant interviewé plus de 1200 femmes leaders au cours de la dernière décennie, elle est régulièrement invitée à livrer ses observations dans la presse financière et dans les grandes conférences internationales: «De manière générale, les femmes préfèrent investir dans des instruments financiers qui incarnent une cause ou un domaine qui les touche. On voit également cette tendance forte chez les millénariaux», explique-t-elle. Les cryptomonnaies sont plutôt associées au blanchiment d’argent, à la corruption et aux scandales éthiques comme ceux de FTX, Binance, Celcius, Voyager, Terra Luna; on est loin de l’investissement d’impact.

«Les femmes japonaises, par exemple, sont très actives sur le marché des changes – souvent à l’insu de leurs maris. On les appelle les “FX Housewives”.»

Barbara Stewart formule l’hypothèse que les cryptomonnaies ont aussi «un enjeu de marketing». Les actions en bourse traditionnelles ont aussi été très volatiles ces dernières années, mais la culture de la crypto, avec son odeur de «techy» et de «bro culture», semble moins attractive pour les femmes. Un profond changement de culture et une modification subséquente de narratif seraient un atout commercial non négligeable… et une source d’autonomie financière pour les femmes: Barbara Stewart cite la surreprésentation des femmes sur le marché des changes en Asie du Sud-Est: «Les femmes japonaises, par exemple, sont très actives sur le marché des changes – souvent à l’insu de leurs maris. On les appelle les “FX Housewives”.»

 

Faut-il de meilleures règles?

Depuis la fin de 2022, de nombreux régulateurs ont commencé à prendre la chose au sérieux. La SEC a démultiplié les interventions sur le marché. Le célèbre fondateur de FTX, Sam Bankman-Fried, a été condamné par un jury de ses pairs, alors que son principal rival, Changpeng Zhao de Binance, a dû démissionner de son titre de président ainsi que du conseil d’administration de l’entreprise qu’il a créée. Plusieurs pensent que davantage de réglementation favorisera l’essor du marché des cryptomonnaies. Ce n’est pas l’avis de Barbara Stewart: «Nous sommes surrégulés dans tellement de domaines, s’exclame-t-elle. Parfois je me dis qu’il en faudrait peut-être moins, au contraire.»


 
Francis Gosselin