Union de fait: des mathématiques à sens unique


9 avril 2024 - Le nouveau régime d’union parentale annoncé par le ministre de la Justice est le signe de la nécessaire évolution du droit de la famille. D’ici à ce que le projet de loi entre en vigueur, le refus de l’un des conjoints à signer un accord de vie commune est une lumière rouge à ne pas prendre à la légère.

Stéphane Desjardins

Il n’y a pas de mystère, même en 2024. Le refus d’aborder les questions d’argent pénalise encore et davantage les femmes: «Quand tu es en amour, tu ne penses forcément pas à une éventuelle séparation, commente Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la Chambre de la sécurité financière (CSF). Or, si 90% des gens sont à l’aise de parler d’investissement et des dettes avec leur conjoint, 75% n’abordent jamais le sujet d’une séparation éventuelle. Pourtant, il faut penser aux conséquences, car les gens ne comprennent pas les limites de l’union libre.»

Ce n’est pas tout: les couples vivent dans le déni lorsqu’il est question de la solidité de leur union. Hélène Belleau, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et titulaire de la Chaire argent, inégalités et société le confirme: «On sait qu’un mariage sur deux finit par un divorce, mais 90% estiment qu’ils ne se sépareront jamais. Ils investissent amour, temps, énergie et argent dans leur union en se disant que, quand ça va mal, les choses vont s’équilibrer à long terme.» De nombreux couples (40 %) occulteraient complètement la question de l’argent dans leurs conversations. Les finances seraient donc autorégulées. Pourtant, «quand un couple se sépare, ce sont presque toujours les femmes qui encaissent les pertes. Surtout quand elles s’occupent des enfants, des tâches ménagères ou de leurs parents vieillissants.»

75% des couples n’abordent pas le sujet d’une séparation éventuelle. Pourtant, rares sont ceux qui savent à quoi ils s’exposent en situation d’union libre  

La vie de famille et l’investissement domestique sont autant de temps perdu à consacrer à sa carrière, donc à l’accumulation de richesses personnelles. Et avec une charge mentale supérieure aux hommes, les femmes consacrent moins d’attention à la gestion de leurs actifs.

«Les mentalités doivent évoluer. On ne doit pas juste se fier aux lois: c’est un enjeu de société.» - Marie Elaine Farley

La réforme visée par le projet de loi 56 crée un nouveau régime, celui «d’union parentale» qui s’appliquerait automatiquement dès la naissance d’un enfant en contexte d’union libre. En cas de séparation, les biens et actifs seraient répartis entre conjoints, ce qui n’était pas le cas pour les couples en union libre jusqu’à présent. «C’est toute la société qui s’enrichit quand on va dans le sens d’une meilleure équité», avance Marie Elaine Farley.

Le nouveau régime est loin d’être parfait, mais les avancées sont notables. Si l’un des conjoints s’estime lésé financièrement, la réforme prévoit une prestation compensatoire fixée par un tribunal à partir de la valeur marchande du patrimoine de l’autre conjoint. «Les mentalités doivent évoluer: on est trop individualistes alors qu’il y a encore beaucoup d’inégalités, soutient Marie Elaine Farley. Il faut sensibiliser davantage les couples. On ne doit pas juste se fier aux lois: c’est un enjeu de société.»

Autrement dit, le membre d’un couple en union libre qui gagne davantage (généralement, l’homme) doit protéger son partenaire (généralement la femme) en s’assurant d’une répartition plus équitable des tâches et, surtout, des actifs. Et ça passe par une discussion franche sur ce qui pourrait survenir advenant une séparation. «Cette discussion est même obligatoire si le couple envisage la parentalité. Si l’un des deux conjoints s’y refuse, l’autre doit se poser de sérieuses questions», insiste Hélène Belleau.

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Stéphane Desjardins