Recrutement: les cadres en mènent large


Brigitte Skeene, cofondatrice de Talent IQ, constate que d’excellents candidats sont négligés parce qu’employeurs et candidats se mettent dans des boîtes. « Pour un manufacturier, on va, par exemple, engager une personne provenant du communautaire ou de la culture. Ça ne passe pas toujours », dit-elle. La crise de la main-d’œuvre a créé des pénuries importantes de talents dans des secteurs comme la santé, l’éducation, la restauration et l’hôtellerie. Il faut oublier les solutions faciles et sortir de nos zones de confort. « Sélectionner les talents uniquement en fonction des années d’expérience, des diplômes, des connaissances techniques, ça ne marche plus, dit-elle. Aujourd’hui, il faut accompagner les personnes en transition pour qu’elles comprennent la marque, la culture et les valeurs de l’employeur. »

Birigitte Skeene ajoute que les employeurs doivent dénicher des candidats qui ne vont pas nécessairement s’adapter complètement à la culture d’entreprise. Elle cite Steve Jobs, qui affirmait qu’on n’engage pas des gens intelligents pour leur dire quoi faire. « On doit donner aux cadres assez d’espace pour qu’ils valorisent leurs talents et expériences. » Aujourd’hui, toutes les entreprises parlent de bienveillance, de transparence, de communication, de respect. Est-ce sincère ? « On peut distinguer les organisations à la manière dont elles réagissent lorsqu’une erreur est commise », observe Brigitte Skeene. Assignent-elles un blâme ou décortiquent-elles ce qui a mené à une mauvaise décision ?

« Il y a actuellement cinq générations sur le marché du travail : ça ne facilite pas le travail des cadres, qui doivent jongler entre les besoins de l’individu, de l’équipe et de l’organisation. » – Brigitte Skeene

 

Savoir-être

Avant, les employeurs cherchaient des experts ; aujourd’hui, l’expert, c’est l’équipe. « Les compétences recherchées sont dans le savoir-être, pas dans le savoir-faire, dit-elle. Les candidats qui se démarquent sont humbles, curieux, cultivent le bien-être. Toutes les entreprises disent qu’ils mettent l’humain au centre, mais la majorité ne parle que de productivité et de profits. Or, si le patron s’assure que les besoins des équipes sont comblés, ça rejaillit sur l’organisation, les clients, la performance. Il y a actuellement cinq générations sur le marché du travail : ça ne facilite pas le travail des cadres, qui doivent jongler entre les besoins de l’individu, de l’équipe et de l’organisation. » Avant, les idées venaient du patron, constate-t-elle. Aujourd’hui, ce dernier doit cultiver le sentiment de confiance, car les travailleurs sont les premiers à reconnaître les changements de plus en plus rapides au sein des industries.

L’agilité

« En services professionnels, après les salutations d’usage, la première chose qu’on me demande, c’est si le client accepte le télétravail, révèle Michael Lavoie, associé fondateur d’Octave Maecenas. Hormis le secteur manufacturier, le télétravail est acquis. Depuis la pandémie, j’ai même recruté des cadres qui n’ont jamais mis les pieds au bureau de leur employeur ! » Certaines organisations affichent leurs valeurs sur les murs et sur le site web, que personne ne lit. On y décèle un gros taux de roulement. Les organisations prisées par M. Lavoie sont celles où elles sont incarnées par les patrons : on y mesure le savoir-être avant la liste de compétences. On cherche l’agilité. Dans le contexte actuel, tout le monde a besoin de bienveillance et d’empathie. Mais ces termes sont galvaudés. De nombreuses entreprises ont 20 ans de retard. « Les cadres qui ont du succès et qui progressent bien maîtrisent surtout le relationnel », reprend-il.

Interne ou externe

« Pour moi, c’est clair, on combat la pénurie de main-d’œuvre en retenant et en fidélisant nos talents, affirme Brigitte Skeene. Si un employeur promet une carrière sans offrir d’opportunités, la personne ira vivre ses expériences ailleurs. » Un cadre venant de l’interne connaît la culture. Un candidat de l’externe peut toutefois insuffler de meilleures pratiques et du renouveau, surtout si l’entreprise a changé de propriétaire ou se réinvente. « Aujourd’hui, les leaders mènent par l’exemple et se mettent au service de leurs employés pour leur donner le goût de les suivre, de briller selon les attentes, de valoriser leurs compétences, analyse Claude Martel. Un candidat doit avoir les compétences techniques, mais un bon leader prend soin de son monde. »

Avant la pandémie, les chasseurs de têtes utilisaient un langage rempli de superlatifs, du genre « venez vous dépasser » ou « atteindre des sommets », affirme Claude Martel. Aujourd’hui, les candidats ne veulent pratiquement plus entendre parler de succès professionnel. Recruteurs et candidats se concentrent désormais sur la contribution des talents pour transformer l’organisation et même la société. « La pandémie, la géopolitique, l’inflation, les taux d’intérêt, ça fait réfléchir tout le monde », reprend Claude Martel. En 25 ans de métier, il n’a jamais connu autant de difficulté à recruter.

 

 
Stéphane Desjardins